33. Le trésor enfoui
— On dirait un babouin, commentai-je.
Malgré la brise de novembre qui filtrait par la fenêtre entrebâillée, Jamie se promenait entièrement nu dans la chambre. Il s'étira voluptueusement, faisant craquer ses articulations.
— Bon sang, que c'est bon de ne plus être en selle ! soupira-t-il.
Je me laissai tomber sur l'édredon, me repaissant de la chaleur du duvet d'oie et du plaisir de détendre mes muscles endoloris.
— Qu'est-ce qu'un babouin au juste ? demanda Jamie. Il s'approcha de la bassine et se mit à se brosser les dents avec une brindille de saule. Cette vision me fit sourire. Si j'avais échoué à détourner le cours de l'histoire lors de mon dernier séjour dans le passé, j'avais au moins permis à tous les Fraser et les Murray de Lallybroch de conserver leurs dents, contrairement à la plupart des Highlanders et des Anglais.
— Un babouin, expliquai-je, est une sorte de grand singe avec un derrière tout rouge.
— Merci pour le compliment ! rit-il. Cela faisait plus de trente ans que personne ne me tannait les fesses. J'avais oublié à quel point ça pique !
Rejetant sa brindille, il se glissa dans le lit et se blottit contre moi.
— Mmm... tu es toute chaude, Sassenach, murmura-t-il.
Il glissa ses jambes entre les miennes et me caressa les fesses, me serrant contre lui.
— Au moins, Jenny et Ian ne sont plus fâchés contre toi, dis-je en réprimant un bâillement.
— Non, je ne crois pas qu'ils m'en voulaient vraiment. En fait, ils ne savent pas trop comment prendre Petit Ian. Les deux aînés, Jamie et Michael, sont de braves garçons. Mais ils ressemblent tous les deux à leur père : ils sont doux, calmes et faciles à vivre. Petit Ian est calme lui aussi, mais il tient davantage de sa mère, et de moi.
— Tu veux dire qu'il est têtu comme un Fraser ?
— Oui, confirma Jamie en riant. Petit Ian a beau ressembler physiquement aux Murray, c'est un Fraser jusqu'à la moelle. Or il ne sert à rien d’houspiller un têtu, ni de le battre. Cela ne fait que le renforcer dans sa détermination.
— Je m'en souviendrai, répliquai-je.
L'une de ses mains caressait ma cuisse, retroussant peu à peu ma chemise de nuit en coton. D'un genou, il écarta un peu plus mes jambes. J'effleurai ses fesses du bout des doigts et les pinçai doucement.
— D'après Dorcas, certains messieurs sont prêts à payer une somme généreuse pour avoir le plaisir d'être fessés. Elle dit qu'ils trouvent ça... excitant.
Jamie banda ses fessiers, puis les relâcha tandis que je les caressais doucement.
— Vraiment ? dit-il. Si Dorcas le dit, ce doit être vrai. Personnellement, je connais des moyens plus plaisants pour me faire bander. D'un autre côté, je suppose que si c'est un joli brin de fille à demi nue qui administre la fessée avec ses petites menottes, ce n'est pas comme si c'était ton père ou ton neveu.
— Sans doute. Tu veux que j'essaie un de ces jours ?
— Non, merci.
Le creux de sa gorge était à quelques centimètres de ma bouche, hâlé et tendre. J'y collai mes lèvres et le chatouillai doucement du bout de ma langue. Il dénoua le lacet de mon col, puis roula sur le côté, me soulevant au-dessus de lui comme si je ne pesais pas plus qu'une plume. D'un geste adroit des doigts, il fit retomber ma chemise sous mes épaules, dénudant mes seins.
Ses yeux plus bridés que jamais pétillaient. Il avait les paupières mi-closes, comme un chat ronronnant, et la chaleur de ses paumes réchauffait la peau glacée de ma poitrine.
— Comme je le disais justement, susurra-t-il, je connais des moyens plus plaisants...
La chandelle s'était consumée et le feu dans l'âtre mourrait doucement. Couchée près de lui, redressée sur un coude, je caressais son large dos, suivant les nombreuses zébrures de sa peau du bout de l'index. Vingt ans plus toi j'avais connu ces cicatrices si intimement que j'aurais et capable de les redessiner les yeux fermés. À présent, je sentais au bout de mon doigt une ligne en demi-lune qui je ne connaissais pas, puis une entaille en diagonale qui n'était pas là non plus autrefois, les vestiges d'un passé tumultueux que je n'avais pas partagé. Les dernières lueurs du feu faisaient briller le duvet doré de ses bras et de ses jambes.
— J'aime ta peau velue, murmurai-je.
Je glissai ma paume sur l'arrondi lisse de ses fesses et il écarta les cuisses pour me laisser caresser les boucles drues de son entrejambe.
— Moui... fit-il d'une voix étouffée par l'oreiller. Heureusement, personne ne m'a encore chassé pour ma fourrure.
— Peut-être pas pour ta fourrure, mais tu as été souvent chassé, n'est-ce pas ?
Il haussa les épaules.
— Parfois, oui.
— On te pourchasse encore aujourd’hui ?
Il respira profondément avant de répondre :
— Oui... je crois.
Mes doigts revinrent vers l'entaille diagonale. La plaie avait été profonde. La cicatrice formait un petit bourrelet rectiligne et bien dessiné.
— Tu sais qui ? demandai-je.
— Non.
Il resta silencieux un long moment, puis se retourna sur le dos, calant sa tête sur son coude fléchi.
— Mais je sais peut-être pourquoi.
La maison était silencieuse. La plupart des enfants et des petits-enfants étant absents, il ne restait plus que quelques domestiques logés dans les quartiers derrière les cuisines, Ian et Jenny dans leur chambre à l'autre bout du couloir, et Petit Ian dormant quelque part à l'étage au-dessus. Nous aurions pu être seuls au bout du monde, Édimbourg et la falaise des contrebandiers à des années-lumière de distance.
— Tu te souviens quand tout le monde ne parlait que de l'or envoyé de France ? C'était après la chute de Sterling, peu avant Culloden.
Cette question de Jamie raviva aussitôt dans mon esprit le souvenir de ces journées frénétiques passées au côté de Charles-Édouard Stuart, lors de son ascension vertigineuse vers la gloire et de sa chute précipitée vers l'oubli. En ces temps incertains, la plupart des conversations étaient alimentées par des rumeurs.
— Tu veux dire l'or du roi de France ? Mais il ne l'a jamais envoyé, n'est-ce pas ? Ce n'étaient que des on-dit. Tout le monde passait son temps à attendre de l'or de France, des vaisseaux d'Espagne, des armes de Hollande, mais il ne venait jamais rien.
— Quelque chose est bien arrivé, mais ça ne venait pas de Louis de France et personne n'en a rien su.
Il me raconta sa rencontre avec Duncan Kerr à l'Auberge du Tilleul et sa confession sous la surveillance d'un officier anglais.
— Duncan avait de la fièvre, mais il n'était pas fou. Il savait qu'il allait mourir. Comme il me connaissait, j'étais sa dernière chance de parler à quelqu'un en qui il pouvait avoir confiance. Alors il m'a parlé.
— De sorcières blanches et de phoques ? répétai-je. Tu y as compris quelque chose.
— Rien du tout, admit Jamie. Je ne savais pas à qui il voulait faire allusion avec sa sorcière blanche. Au début, j'ai cru que c'était toi et mon cœur a fait un bond. Je me suis dit que, peut-être, les choses avaient mal tourné sur la colline aux fées et que tu n'avais pas pu rejoindre Frank et ton époque. J'ai pensé que tu t'étais réfugiée en France, et que tu y étais encore, ce genre de choses...
— Si seulement... soupirai-je.
— Tu plaisantes ? Avec moi en prison ? Brianna devait avoir... quoi... dix ans ? Non, Sassenach, ne perds pas ton temps avec des regrets. Tu es ici, à présent, et on ne se quittera jamais plus.
Il déposa un baiser sur mon front et reprit son récit :
— Je ne savais pas d'où venait cet or, mais j'ai fini par comprendre où il était caché et pourquoi. Duncan avait été envoyé par Charles-Édouard pour le chercher. Quant à son histoire de soyeux...
Il souleva légèrement la tête et m'indiqua la fenêtre du menton. On y apercevait le rosier grimpant qui jetait des ombres dansantes sur la vitre.
— Les gens racontent que ma mère s'est enfuie de Castle Leoch pour aller vivre avec les phoques. Mais c'est parce que la femme de chambre qui a aperçu mon père le soir où il est venu la chercher a raconté qu'il ressemblait à un grand soyeux qui se serait débarrassé de sa peau sur la plage et se serait mis à marcher comme un homme.
Jamie marqua une pause et sourit, se passant la main dans les cheveux.
— Il avait les cheveux épais, comme moi, mais noirs comme du jais. Sous certaines lumières, on aurait dit qu'ils étaient mouillés tellement ils brillaient. En outre, il se déplaçait toujours en silence, comme s'il glissait sur le sol, tel un phoque dans l'eau.
Il frissonna, chassant ces souvenirs de sa mémoire.
— Enfin, bref... Lorsque Duncan Kerr a prononcé le nom « Ellen », j'ai tout de suite compris qu'il s'agissait de ma mère. Il voulait me signifier qu'il connaissait mon nom et ma famille, qu'il savait qui j'étais. Il était loin de délirer, même s'il en avait l'air. L'Anglais m'avait dit où on l'avait retrouvé, près du rivage sur la côte. Il y a des centaines de petites îles et de gros rochers le long de cette côte, mais un seul où vivent les soyeux. C'est aux confins des terres MacKenzie, près de Coigach.
— Tu y es allé ?
— Oui. Je ne l'aurais pas fait, je veux dire, je ne me serais pas évadé de prison, si je n'avais pas cru qu'il y avait un rapport avec toi, Sassenach.
S'évader ne lui avait pas été très difficile. Les prisonniers sortaient régulièrement de la forteresse par petits groupes pour aller extraire la tourbe qui réchauffait l'ensemble de la prison ou pour travailler à la réparation des murailles. Pour un homme habitué à la bruyère, se fondre dans la nature était un jeu d'enfant. Il avait interrompu son travail et s'était éloigné du groupe de quelques mètres, déboutonnant ses culottes comme pour se soulager. Le gardien avait pudiquement détourné les yeux et quand il s'était retourné quelques instants plus tard, il n'y avait plus personne.
— En fait, s'évader était à la portée de tous, mais les hommes ne le faisaient jamais. C'est qu'aucun d'entre nous n'était de la région et, même si cela avait été le cas, il n'y avait nulle part où aller.
Les hommes de Cumberland avaient bien fait leur travail. Comme l'avait déclaré un de ses contemporains : Cumberland a créé un désert et l'a appelé « paix ». Cette approche moderne de la diplomatie avait laissé de vastes étendues des Highlands entièrement désertes. Les hommes avaient été tués, emprisonnés ou déportés ; les fermes et les récoltes avaient été brûlées ; les femmes et les enfants, affamés, avaient été obligés de se rabattre sur les villes. Non, un prisonnier s'évadant d'Ardsmuir se serait retrouvé vraiment seul, sans personne à qui demander de l'aide.
Jamie savait qu'il avait peu de temps devant lui avant que le gouverneur anglais ne devine sa destination et ne lance une patrouille à ses trousses. D'un autre côté, il n'y avait pas de routes à proprement parler dans cette région reculée du royaume et un homme à pied qui connaissait le terrain était nettement avantagé par rapport à des étrangers à cheval.
Il s'était enfui vers le milieu de l'après-midi. Se guidant aux étoiles, il avait marché toute la nuit pour arriver sur la côte le lendemain à l'aube.
— Je connaissais l'endroit où viennent se réfugier les phoques. Tous les MacKenzie le connaissent. J'y avais déjà été une fois, avec Dougal.
La marée était haute et les phoques étaient occupés à chasser les crabes et les poissons dans les laminaires, mais Jamie reconnut aussitôt les trois îlots sur lesquels ils s'entassaient pour dormir. Selon les dires de Duncan Kerr, le trésor se trouvait sur la troisième île, la plus éloignée du rivage. Elle se dressait à plus d'un kilomètre, une longue distance à parcourir à la nage, même pour un homme robuste. Or Jamie était vidé de ses forces par le dur labeur de la prison et sa longue marche le ventre vide. Il se tint sur la falaise, se demandant s'il ne chassait pas des moulins à vent et si le trésor, s'il existait vraiment, valait la peine de risquer sa vie.
La falaise était déchiquetée et s'effritait par endroits. Il ne semblait y avoir aucun moyen d'atteindre l'eau, sans parler de l'île aux phoques. Puis Jamie se souvint que Duncan avait parlé de la « tour d'Ellen ». Celle-ci était en fait un promontoire de granit qui ne s'élevait qu'à un mètre au-dessus du sol. Mais sous ce pic, cachée dans les anfractuosités de la roche, se trouvait une petite crevasse donnant sur un puits qui offrait un accès à la grève, située une vingtaine de mètres plus bas.
De la base de la tour d'Ellen à la troisième île, il restait encore quelque trois cents mètres de mer houleuse à parcourir. Jamie s'était déshabillé, s'était signé, avait recommandé son âme à sa défunte mère, puis avait plongé nu dans les vagues.
Aucun endroit d'Écosse ne se trouve loin de la mer, mais Jamie avait grandi à l'intérieur des terres et son expérience de la natation se limitait aux étendues placides des lochs et aux bassins naturels des torrents à truites. Aveuglé par le sel et assourdi par le rugissement de la mer, il avait lutté pendant ce qui lui avait paru des heures. Puis, épuisé, il avait relevé la tête pour respirer et avait découvert avec horreur que le rivage ne se trouvait plus derrière lui comme il s'y était attendu, mais sur sa droite.
— La marée descendante était en train de m'emporter. Je me suis dit : « Ça y est, tu es cuit. » Je savais très bien que je ne pourrais jamais regagner la côte. Je n'avais rien mangé depuis deux jours et j'étais à bout de forces.
Il avait alors cessé de nager. Il s'était laissé flotter sur le dos, s'abandonnant à l'étreinte des vagues. Fermant les yeux, il avait fouillé dans sa mémoire à la recherche des paroles d'une vieille prière celtique.
— Tu vas croire que je suis un peu fêlé, Sassenach. Je ne l'ai raconté à personne, pas même à Jenny, mais, au beau milieu de ma prière, j'ai entendu ma mère m'appeler. Peut-être était-ce uniquement parce que j'avais pensé à elle avant de me jeter à l'eau, mais...
Il haussa les épaules, l'air gêné.
— Qu'a-t-elle dit ? demandai-je doucement.
— Elle a dit : « Viens à moi, Jamie... viens à moi, mon petit ! » Je l'entendais distinctement, mais je ne voyais rien. Il n'y avait personne, pas même un phoque. J'ai cru qu'elle m'appelait du ciel et j'étais si épuisé que je me serais bien laissé mourir. Mais je me suis retourné sur le ventre et me suis mis à nager dans la direction d'où sa voix était venue. Je me suis dit que je ferais dix brasses puis que je m'arrêterais à nouveau pour reprendre mon souffle, ou couler.
Enfin, à la dixième brasse, le courant l'avait soulevé.
— C'était comme si quelqu'un me portait. Je le sentais tout autour de moi. L'eau était plus chaude et m'emportait. Je n'avais qu'à garder la tête hors de l'eau et à battre un peu des jambes.
Le courant l'avait laissé juste à la pointe de la troisième île. En quelques brasses, il avait atteint les rochers. Avec la gratitude d'un naufragé échouant sur une plage de sable chaud bordée de cocotiers, il s'était hissé sur les pierres couvertes d'algues et avait repris lentement son souffle.
— Ensuite, j'ai eu l'impression qu'on m'observait. Je me suis retourné et j'ai vu un énorme phoque qui me fixait en me montrant ses grosses dents acérées.
Sans être ni pêcheur ni marin, Jamie avait entendu suffisamment d’histoires sur les phoques mâles pour savoir qu'ils étaient dangereux, surtout quand on faisait irruption sur leur territoire.
— Il pesait plus de cent kilos. Il pouvait me déchiqueter un bras ou me rejeter à la mer d'un seul coup de queue. Heureusement pour moi, j'étais trop abruti de fatigue pour avoir peur. Je l'ai simplement fixé dans les yeux, puis je lui ai dit : « C'est rien, mon vieux, ce n'est que moi. »
— Et que t'a-t-il répondu ?
— Rien, il m'a regardé un long moment puis il a émis un grognement et s'est laissé glisser de son rocher avant de disparaître dans les vagues.
Seul maître des lieux, Jamie avait entrepris d'inspecter l'île. Étant donné sa taille minuscule, il n'avait pas tardé à découvrir la fente dans un rocher qui s'ouvrait sur une petite caverne d'un mètre de profondeur. Elle était tapissée de sable sec et, située au centre de l'îlot, elle n'était jamais inondée, même au plus fort des pires tempêtes.
— Alors, ne me fais pas languir, le suppliai-je. L'or du Français y était, oui ou non ?
— Eh bien, oui et non, Sassenach, répondit-il en savourant son suspense. Je m'attendais à découvrir un gros coffre rempli d'or. D'après la rumeur, Louis de France avait envoyé trente mille pièces d'or, mais je n'ai trouvé qu'un coffret de moins de trente centimètres de long et une petite bourse en cuir.
Le coffret contenait deux cent cinq pièces d'or et d'argent, certaines finement ciselées comme si elles avaient été frappées la veille, d'autres rongées par le temps.
— C'étaient des pièces anciennes, Sassenach.
— Anciennes ? tu veux dire...
— Grecques et romaines, Sassenach. Très anciennes.
— C'est incroyable ! m'émerveillai-je. C'était donc bien un trésor mais pas...
— ... Pas le genre de trésor que le roi de France aurait envoyé pour nourrir une armée, en tout cas.
— Et la bourse ? demandai-je. Que contenait-elle ?
— Des pierres précieuses. Des diamants, des perles, des émeraudes et des saphirs. Il n'y en avait pas beaucoup mais elles étaient grosses et bien taillées.
Perplexe, il était resté assis sur son rocher, tournant et retournant entre ses doigts les pièces et les pierreries, jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il était encerclé par une ronde de phoques intrigués. La marée était basse et les femelles étaient rentrées de la pêche. Une vingtaine de paires d'yeux le surveillaient avec prudence.
Le gros mâle, enhardi par la présence de son harem, était lui aussi de retour. Il aboyait en agitant la tête de droite à gauche d'un air menaçant, avançant vers Jamie en se dandinant sur ses nageoires.
— J'ai pensé qu'il valait mieux ne pas m'attarder. J'avais trouvé ce que j'étais venu chercher, après tout. Je ne pouvais pas rapporter le coffret à la nage et, quand bien même, qu'en aurais-je fait ? lors, je l'ai remis à sa place et je suis redescendu dans l'eau.
À quelques mètres de l'île, il avait retrouvé le courant circulaire qui l'avait porté à nouveau vers le rivage. Là, il avait rampé sur la grève, s'était rhabillé et s'était endormi dans un nid d'algues.
— À l'aube, j'ai marché de nouveau vers l'intérieur des terres pour aller à la rencontre des Anglais.
— Mais pourquoi es-tu rentré ? Tu étais libre, tu avais de l'argent, et tu...
— Où voulais-tu que je dépense cet argent, Sassenach ? Je ne pouvais tout de même pas entrer dans la première ferme venue et offrir aux paysans un denarius d'or ou une petite émeraude !
Mon air indigné le fit sourire.
— Non, Sassenach, reprit-il. Je devais rentrer à la prison. C'est vrai que j'aurais pu survivre sur la lande pendant un certain temps, même affamé comme je l'étais. Mais les Anglais me recherchaient d'autant plus qu'ils pensaient que je savais où se trouvait le trésor. Tant que j'étais libre, aucune maison dans les alentours d'Ardsmuir n'aurait été en sécurité car ils n'auraient pas hésité à y mettre le feu pour dissuader ses occupants de m'héberger. De plus, après avoir mis toute la région à feu et à sang, ils seraient venus ici à Lallybroch. Même si j'avais été disposé à faire courir un risque aux gens d'Ardsmuir, je ne pouvais pas mettre la vie des miens en danger. Et puis...
Il s'interrompit, cherchant ses mots.
— Il fallait que je revienne, dit-il lentement. Pour mes compagnons de cellule aussi.
— Il y avait des hommes de Lallybroch parmi les prisonniers ? demandai-je.
— Non, ils venaient des quatre coins des Highlands. Presque tous les clans étaient représentés, mais ils étaient hagards et perdus. Ils avaient besoin d'un chef.
— C'est ce que tu es devenu pour eux ?
— Oui, faute de mieux, répondit-il avec un sourire ironique.
Après avoir vécu sept ans protégé par sa famille et ses métayers, sept années durant lesquelles l'amour des siens avait nourri ses forces, il s'était retrouvé dans un univers où la solitude et la désespérance pouvaient tuer un homme plus rapidement que la crasse, l'humidité et les maladies de la prison. Aussi, le plus naturellement du monde, il avait rassemblé ces débris d’hommes, les survivants éparpillés de Culloden, et les avait faits siens afin qu'ils puissent survivre, lui y compris, aux pierres froides d'Ardsmuir. À force de raison, de persuasion et de charme, tantôt les cajolant, tantôt les matant, il les avait contraints à s'unir pour faire face à leurs geôliers comme un seul homme, laissant de côté leurs anciennes rivalités pour se regrouper tous derrière lui.
— Ils sont devenus mes hommes, expliqua-t-il. Ce sont eux qui m'ont gardé en vie.
Néanmoins, quelque temps après son retour, ils lui avaient été enlevés, séparés les uns des autres pour être vendus comme des bêtes de somme sur une terre étrangère. Il avait été impuissant à les sauver.
— Tu as fait de ton mieux, le consolai-je. Tu ne peux plus rien aujourd’hui.
Nous restâmes un long moment enlacés, laissant les légers bruits de la maison endormie nous bercer. Pour la première fois, nous étions vraiment seuls tous les deux, loin du danger.
Pour une fois, nous avions le temps. Le temps d'entendre la suite de l'histoire de l'or, d'apprendre ce qu'il en avait fait, de découvrir ce qui était arrivé aux hommes d'Ardsmuir, de spéculer sur l'incendie de l'imprimerie, sur le marin borgne de Petit Ian, sur la rencontre avec les douaniers sur la grève d'Arbroath, sur la marche à suivre désormais. Mais précisément parce que nous avions tout notre temps, ni l'un ni l'autre ne ressentait le besoin d'en parler.
La dernière bûchette de tourbe se désintégra dans l'âtre, ses entrailles incandescentes lançant des lueurs rouge orangé. Je me blottis plus près de lui, enfouissant mon nez dans son cou. Il sentait l'herbe et la transpiration, avec un léger arrière-goût de whisky.
Il se tourna vers moi, se couchant à demi sur mon corps nu.
— Quoi, encore ? murmurai-je, amusée. À ton âge, les hommes ne sont pas censés récupérer aussi vite.
Il mordillait le lobe de mon oreille.
— Pourquoi pas ? chuchota-t-il. Tu es bien prête à remettre ça, toi aussi, et tu es plus vieille que moi.
— Ce n'est pas pareil, me défendis-je. Je suis une femme.
— Précisément. Si tu n'étais pas une femme, tu ne me mettrais pas dans cet état, Sassenach.
Les grattements des branches de rosier contre la vitre me réveillèrent peu après l'aube. On entendait déjà des bruits dans la cuisine à l'étage inférieur. Je me glissai discrètement hors du lit pour ne pas réveiller Jamie. Les lattes du plancher étaient glacées. Grelottante, je passai rapidement le premier vêtement qui me tomba sous la main.
Enveloppée dans la chemise de Jamie, je m'accroupis devant le feu pour tenter de le ranimer. Je regrettai de ne pas avoir inclus une boîte d'allumettes dans la liste d'objets que j'avais apportés avec moi. Faire jaillir des étincelles entre deux silex était un système efficace, mais laborieux. Je dus m'y reprendre à douze fois avant d'enflammer le brin de filasse qui tenait lieu de mèche. Dès que la flamme apparut, je le glissai sous la pile de petit bois que j'avais préparé afin de protéger la flamme naissante de la bise.
La veille, j'avais laissé la fenêtre entrouverte pour ne pas être suffoquée par la fumée de tourbe. Le bas de la vitre était givré, l'hiver approchait. L'air était si vif et frais que j'attendis un instant avant de refermer les battants, inhalant de grandes bouffées chargées de l'odeur des feuilles mortes, des pommes sèches, de la terre froide et de l'herbe humide. Un mouvement attira mon regard vers le haut d'une colline. Un sentier mal tracé y serpentait, menant au village de Broch Mordha une quinzaine de kilomètres plus loin. L'un après l'autre, trois poneys apparurent au sommet puis entamèrent la descente vers Lallybroch.
Les cavaliers étaient trop loin pour que je puisse distinguer leur visage, mais je devinai aux flottements de leurs jupes qu'il s'agissait de femmes. Ce devaient être les filles de Ian et de Jenny qui rentraient de chez leur grand frère. Jamie serait heureux de les voir.
Je refermai la fenêtre et décidai de profiter du peu d'intimité qui nous restait pour faire la grasse matinée. Je déposai plusieurs bûches de tourbe dans l'âtre, puis je me débarrassai de ma chemise et me glissai à nouveau sous l'édredon. Réveillé par mon retour dans le lit, Jamie roula instinctivement de mon côté, se lovant contre moi en chien de fusil.
— Bien dormi, Sassenach ? demanda-t-il, encore à moitié endormi.
— Merveilleusement bien. Et toi ?
— Mmmm... j'ai fait des rêves délicieux.
— De quoi as-tu rêvé ?
— De femmes nues, principalement, et de nourriture. Il mordilla doucement mon épaule. Son estomac émit un grondement sourd. Une odeur de biscuits et de lard frit flottait dans les airs, légère mais reconnaissable.
— Tant que tu ne confonds pas les deux, dis-je en dégageant prudemment mon épaule.
— Je sais encore distinguer une jolie poulette dodue d'un gros jambon salé.
Il me pinça une fesse.
— Tu n'es qu'un animal !
— Ah oui ? Grrrr...
Il plongea sous l'édredon et se mit à mordiller l'intérieur de mes cuisses, faisant la sourde oreille à mes cris de dinde. Je gigotais tant bien que mal pour résister aux chatouillis. Délogé par notre lutte, l'édredon glissa sur le plancher, révélant la tignasse cuivrée de Jamie, le nez enfoui entre mes jambes. Il redressa la tête pour reprendre son souffle.
— Finalement, il y a moins de différence que je ne le pensais entre la poulette et le jambon, annonça-t-il. Tu as un goût plutôt salé. Comment...
Au même instant, la porte de la chambre s'ouvrit avec fracas, allant frapper contre le mur. Une jeune fille que je n'avais jamais vue auparavant se tenait sur le seuil. Elle devait avoir une quinzaine d'années, avec de longs cheveux blonds et de grands yeux bleus. Elle regardait vers le lit avec une expression d’horreur. Son regard glissa de mes cheveux hirsutes à mon visage, descendit lentement vers mes seins nus, puis le long de mon ventre, pour s'arrêter enfin sur Jamie, couché entre mes cuisses, le teint blême, la dévisageant avec un effroi comparable au sien.
— Papa ! s'écria-t-elle, outragée. Qui est cette femme ?